Colocation et vieillissement en Suisse romande : témoignages et dynamiques intergénérationnelles à Lausanne
Colocation et vieillissement : témoignages croisés en Suisse romande
Dans l’appartement collectif de la coopérative L’Utopie, situé aux Plaines du Loup à Lausanne, quatre générations échangent sur les visions de la vie en communauté. Des années 70 à nos jours, les expériences et les défis liés à la colocation illustrent l’évolution des pratiques et le maintien du besoin fondamental de ne pas vieillir seul.
Les années 70, quand la communauté prenait une dimension politique
Geneviève était âgée de 20 ans en 1966 et était mère jeune, ayant vécu une séparation à 24 ans. Dans les années 70, elle rejoint une communauté à Pully avec sa fille, en quête d autre chose que le cadre familial traditionnel.
À l intérieur d’une grande maison, cinq adultes vivaient ensemble, dont trois jeunes mamans. Le fonctionnement est structuré: une cuisson tournante chacun une fois par semaine, le ménage collectif le lundi et des décisions prises collectivement. L esprit est collectif et le départ est possible pour celui qui ne souhaite pas rester.
Sur le plan financier, le système est simple et équitable: un tarif unique pour tous. Lorsqu’un nouveau arrivant se retrouve sans ressource, la communauté n insiste pas. Si possible, il peut rester sans payer jusqu’à ce qu il puisse contribuer; et beaucoup adoptent rapidement ce principe.
La communication, clé de la colocation
La communication est présentée comme moteur essentiel des arrangements en colocation.
La colocation : entre idéal et réalité
Maha, 22 ans, quitte le domicile familial à 17 ans et demi pour une colocation à six. L expérience n est pas idéale: elle ne connaissait pas les colocataires et n osait pas exprimer ce qui la dérangeait, se sentant comme une intruse.
Aujourd hui, en colocation à deux, elle identifie l enjeu central: la communication. Lorsque celle ci fait défaut, des tensions apparaissent. Exemple: une colocataire exprime son mécontentement en faisant la vaisselle bruyamment plutôt qu en en parlant.
La colocation intergénérationnelle : un concept qui se structure
En 2019, Kevin lance une plateforme de colocation intergénérationnelle dans le cadre de son master en travail social. Le concept est répandu en France et en Allemagne, mais tarde à s installer en Suisse romande.
Son approche vise un accompagnement social global: poser des questions concrètes aux seniors qui disposent d un espace chez eux. Est ce que le jeune qui vient peut inviter quelqu un à dormir? Comment imaginez vous la cohabitation?
Une anecdote illustre l enjeu: une senior accepte qu une jeune femme invite la personne qu elle aime à dormir chez elle, mais lorsque c est une amie lesbienne, la réaction est violente et la jeune est mise à la porte. Cette discrimination a été difficile pour l ensemble des participants. Aujourd hui, Kevin a mis en place des chambres d urgence pour faire face à ce type de situation.
L’accompagnement se fait sur le long terme: des visites régulières dans les cohabitations, pour vérifier que chacun se sente à l aise.
Un point à retenir: plus de la moitié des seniors qui accueillent des jeunes le font pour des raisons financières plutôt que par solitude.
À 65 ans, créer des appartements protégés
Willy, 90 ans, observe ces dynamiques avec recul: la colocation peut être bénéfique pour les jeunes mais devient plus complexe avec l âge. Il croit toutefois en une vie communautaire adaptée aux seniors.
À 65 ans, après une carrière dans le négoce international, il prend sa retraite. Sa mère, en EMS depuis dix ans, était confrontée à des conditions difficiles et a inspiré son action. Il crée une fondation et obtient un droit de superficie auprès de la Ville de Lausanne. Résultat: huit maisons et 61 appartements protégés accessibles dès 55 ans. Willy occupe aujourd hui l un de ces logements imaginés selon ses principes: douche à l italienne, pas de seuils, portes élargies, mais sans médicalisation.
Dans ce petit îlot de maisons, les activités collectives sont quotidiennes: gym, sophrologie, cours de philosophie. L objectif est de lutter contre la solitude des âgés tout en préservant l autonomie.
Attendre 15 ans pour le bon projet
Au moment où Geneviève a connu la vie en communauté dans sa jeunesse, elle rejoint aujourd hui la coopérative L’Utopie après quinze années d attente. Pour elle, c était le meilleur projet envisageable pour vieillir.
Dans son immeuble, elle connaît des voisins qu elle voit depuis 50 ans et anime un atelier de peinture chaque dimanche pour adultes et enfants, apportant joie et créativité.
Son approche du vivre ensemble se lit dans une anecdote vécue à l arrivée: un samedi soir, des voisins font la fête; à minuit et demi, elle ouvre la fenêtre pour demander un peu moins de bruit. Depuis, les voisins se répondent par des regards et des sourires, et se font des coucous.